Ecrire correctement sur le Net ne sert à rien !

J’avoue, le titre de ce billet est volontairement provocateur. Et il est évident que mon opinion est tout autre.

Cependant, à discuter avec de nombreuses personnes qui ont fait d’Internet leur principal outil de travail, j’ai fini par comprendre que, pour eux, l’emploi correct de la langue française n’a finalement que peu d’intérêt en comparaison avec le fait d’avoir un site bien construit, une campagne promotionnelle efficace ou encore un réseau d’affiliation conséquent, digne des plus beaux chaluts de grands fonds. Combien de pages d’accueil m’invitent à visiter « cette jolis boutique qui a était fête pour mois » ? Combien de courriers électroniques m’informent que j’ai eu raison de m’inscrire à tel ou tel service en ligne « qui me feras gagnez du tant et de l’argens » ? Et pire encore, combien d’interlocuteurs s’adressent à moi via messagerie instantanée ou forum pour m’expliquer que « G tout intéré a taffé » avec eux car ils sont de loin les plus grands spécialistes (autoproclamés) de leur spécialité, et ce, « bi1 ki soyent encore assé djeun pour kiffé la teuf » ?… Surement à grands coups de champomy-vodka jusqu’à pas d’heure.

Alors certes, tout le monde n’est pas capable de former des phrases à la fois intelligibles et écrites correctement. Mais quand on se replace dans le contexte, il faut tout de même garder à l’esprit qu’on n’a justement QUE l’écrit pour faire passer ses idées, convaincre et communiquer sur Internet. Ca mérite donc un minimum d’effort de ce côté là. Et, à moins de vouloir cibler exclusivement une certaine catégorie d’internautes dont la culture se limite au SMS et aux emissions de télé-réalité, il est indispensable de s’exprimer le plus clairement et le plus « proprement » possible.

Inutile pour autant d’aller s’asseoir dans une bibliothèque cistercienne pour rédiger tous ses messages avec un précis de grammaire sur les genoux. Des phrases simples, mais lisibles par tous, sur lesquelles on aura passé une ou deux minutes supplémentaires pour éliminer les coquilles et les « phôtes d’aurtografe » les plus grossières, constituent déjà une base suffisante pour communiquer en ligne.

Pour certains, l’orthographe n’est qu’un art mineur, indigne de figurer au même rang que certaines matières scientifiques censées être plus utiles aux informaticiens (comme si la science pouvait s’affranchir de rigueur rédactionnelle). Pour d’autres, c’est carrément un « art minable », un truc de vieux qu’il faut justement battre en brêche en s’appliquant consciencieusement à commettre les fautes les plus abominables chaque fois qu’on touche un clavier. A tous ceux-là, je voudrais d’abord dire que la langue française n’est rien d’autre qu’un ensemble de codes et de règles bien précises, qui ne sont pas très éloignées de celles qu’on trouve dans des domaines réputés plus rigoureux (mathématiques, informatique…). Ensuite, la langue française est déjà tellement malmenée à tous les niveaux de la société que ceux qui essaient de prouver leur rebellion en la martyrisant davantage ne font que confirmer, finalement, leur parfaite intégration dans un système global qui méprise la culture et tend à opérer un nivellement par le bas de l’intelligence commune.

Oublions donc les à-priori et les images surranées autour de la langue française. Ecrire correctement est avant tout une première marque de respect envers ceux qui nous lisent, c’est vrai, mais c’est aussi une force pour celui qui veut faire passer un message. Et surtout c’est la meilleure façon de vendre. Car s’il y a bien une chose sur laquelle tout le monde s’accorde au sujet du nouveau modèle économique né avec Internet, c’est que vendre est encore plus difficile que dans le monde réel.

Du point de vue des consommateurs, les repères commerciaux ont changé. A défaut de pouvoir toucher ce qu’on leur propose, ou de discuter en vis-à-vis avec le commerçant, leur confiance doit s’appuyer sur de nouveaux critères, plus ou moins subjectifs, au nombre desquels figure principalement l’appréciation de ce qu’ils voient (et de ce qu’ils lisent !) sur leur écran. Ainsi, lorsqu’il s’agit pour eux d’acheter en ligne, s’ils ont le choix entre deux boutiques, l’une truffée de fautes et l’autre présentant ses produits dans un français correct, à qualité et conditions égales ils privilégieront cette dernière. Simplement parce qu’en comparaison avec l’autre boutique, elle leur donnera l’impression d’être gérée par des gens sérieux, organisés et professionnels. C’est ce qu’on appelle la confiance induite : ce n’est pas objectif, et rien ne dit qu’on n’a pas affaire à des margoulins en réalité. Mais le fait est qu’ils se vendent bien, sachant tirer parti de leur vitrine, à l’instar des commerçants de quartier dont parlait Gautier Girard dans l’un de ses précédents billets.

Et s’il y a bien un paradoxe dans tout cela, c’est que de très nombreux internautes vont justement choisir cette boutique à cause du sérieux qu’elle dégage par sa façon de communiquer. Même et surtout ceux qui, de leur côté, n’accordent aucun intérêt à bien écrire pour leur propre compte…

Bonne (re-)lecture

Bruno